dossier
n°51 issu de la lettre Liaison de janvier 2003 d'Ile de France Environnement
|
Natura 2000 est le dispositif mis en place par l'Union européenne pour répondre à l'un des grands problèmes environnementaux de notre époque : la régression des milieux naturels et des espèces vivant sur la Terre, souvent englobés sous le mot de "biodiversité". Ce dispositif, que l'Europe a voulu le plus ambitieux de la planète, s'est traduit juridiquement par deux directives communautaires que la France a ratifiées. Le principe en est la constitution d'un réseau de sites abritant des habitats naturels (pelouses calcaires, landes, forêts alluviales, dunes) ou des espèces, identifiés comme particulièrement rares et menacés. Il est convenu que chaque état-membre envoie à Bruxelles une liste des sites qu'il propose comme d'intérêt communautaire. L'établissement de cette liste a provoqué en France une vive polémique. De ce fait notre pays a pris un grand retard. Néanmoins la procédure de choix des sites se poursuit et, dans notre région, c'est le collectif Ile-de-France Nature qui se charge de coordonner la proposition de sites. Nous présentons ici ce dossier. Les annexes des directives listent les habitats et les espèces à prendre en compte, qui sont appelés "habitats" ou "espèces d'intérêt communautaire". Le pari du dispositif consiste à dire qu'en préservant de manière globale ces habitats et ces espèces sur de vastes territoires, et en cherchant à concilier les activités humaines avec cette protection, on préservera l'ensemble de la diversité biologique de l'Union. L'avantage du système est d'être quantifiable et de permettre une véritable évaluation des politiques mises en uvre par les états-membres. La première directive, conçue comme un ballon d'essai du dispositif, date de 1979 et porte uniquement sur les oiseaux. Les sites désignés par cette directive sont appelés Zones de Protection Spéciale (ZPS). C'est la directive "oiseaux". La seconde, appelée "directive habitats", date de 1992, année du sommet de Rio, et prend en compte les habitats naturels et les espèces des autres groupes. Les sites désignés sont ici appelés Zones Spéciales de Conservation (ZSC). Objectif 2004 : constituer le réseau Il est prévu qu'en 2004 la constitution du réseau de sites sera terminée et que ZPS et ZSC se réuniront dans un même ensemble appelé Réseau Natura 2000. Inspirées par les principes du droit anglo-saxon, les deux directives fixent aux états signataires une obligation de résultat : maintenir en état de conservation favorable les habitats et les espèces inscrits aux annexes. Mais elles leur laissent toute liberté sur les moyens à mettre en uvre. Cette conception juridique, radicalement différente des principes du droit fiançais, est à l'origine des difficultés rencontrées par l'administration et les acteurs socio-économiques pour comprendre et appliquer les directives. D'autant que cette obligation constitue en fait un abandon de souveraineté de facto, préfigurant une transition "douce" vers une Europe fédérale. Malgré tout, cet abandon de souveraineté en douceur provoque des blocages psychologiques non négligeables aux niveaux politique et administratif. Une autre difficulté est l'opposition entre les stratégies conservatoires française et européenne. Toute la politique française repose sur le principe d'une conservation très réglementée portant sur de tout petits espaces (les réserves naturelles ne représentent que 0,2 % du territoire), alors que le dispositif Natura 2000 est conçu pour s'appliquer à 15-20 % du territoire tout en cherchant à y concilier conservation et activités humaines. Un volet financier est par ailleurs intégré au dispositif afin de rendre ce programme ambitieux, économiquement viable, sous la forme de co-financements pris en charge par l'Union et les états-membres.
Une autre singularité française dans la mise en uvre du réseau Natura 2000 est le rôle accordé par l'État aux associations de protection de la nature. Tous les pays de l'Union européenne ont largement impliqué leurs associations dans la constitution du réseau de sites, certains comme l'Autriche allant jusqu'à leur déléguer totalement la mise en place du dispositif. Mais la France a choisi de réduire au minimum l'implication des associations. Cette absence de partenariat avec les ONG a fortement contrasté avec l'attention portée aux acteurs économiques (industriels, agriculteurs, travaux publics), aux diverses administrations et structures publiques (Équipement, ONF) et aux usagers impliqués dans l'aménagement et la gestion du territoire. Ils ont largement influencé la définition des limites des sites. Cela est contraire aux dispositions de la directive. La Cour de justice des Communautés européennes a rendu à ce sujet un arrêt jurisprudentiel important, le 7 novembre 2000. Sa conclusion est que seule la prise en compte de critères environnementaux doit guider les états-membres lors de la proposition de la liste des sites. Le droit communautaire ne prévoit pas la prise en compte d'autres exigences (économiques, sociales et culturelles) à ce stade de la procédure, celles-ci étant bien évidemment intégrées dans la phase d'application, c'est-à-dire le document d'objectifs. En France, les nombreuses entorses à cette règle ouvrent la voie à de multiples contentieux, qui seront jugés sur la base de l'arrêt jurisprudentiel. Dans un contexte où les contentieux sur la grande sur de la directive habitats, la directive oiseaux, persistent à rester au cur des relations France- Europe (la France a été condamnée pour déficience de transmission de sites, et le débat sur les périodes de chasse vient d'être réactivé), cette situation inquiète la Commission, qui "craint légitimement que le dispositif s'enferre dans la polémique au lieu de s'attacher à remplir son objectif, à savoir, stopper la régression des habitats et des espèces. La Commission a conclu le séminaire de La Haye en demandant à la France d'être suffisamment convaincante dans ses nouvelles propositions pour éviter une multiplication des recours des associations. Point positif: la France est plutôt en avance par rapport aux autres pays sur la seconde phase du dispositif: l'application, et le principe des documents d'objectifs est jugé comme un modèle européen. Reste à savoir si cela sera suffisant pour enrayer l'érosion de la biodiversité compte tenu des manques de l'inventaire initial, et dans un contexte où l'ensemble des indicateurs montre une accélération de la régression des habitats et des espèces. L'extinction probable de la population de Râles des genêts - sur une zone de protection spéciale (ZPS) - chez nos voisins haut-normands, ou celle qui menace l'Outarde canepetière en Ile-de- France justifie cette interrogation. Suite au séminaire de La Haye, des discussions bilatérales vont s'engager entre la Commission et la France, dans le but de définir les extensions de sites existants ou la transmission de nouveaux sites nécessaires pour obtenir une désignation satisfaisante des habitats et des espèces. C'est dans ce cadre que France Nature Environnement (FNE) a coordonné une campagne nationale visant à recueillir des propositions de sites auprès de ses associations fédérées. Près de 400 sites ont été aujourd'hui proposés à la Commission européenne. Ces propositions serviront de base de négociation dans le cadre des discussions bilatérales. Les objectifs en Ile-de-France En Ile-de-France, c'est Ile-de-France Nature qui s'est chargée de coordonner les propositions de sites. De très nombreux sites proposés abritent des habitats ou des espèces jugés insuffisants qu'il s'agisse d'extensions de sites ou de sites nouveaux. Comme partout en France, un sérieux travail d'inventaires devra être mené au sein de ces vastes ensembles pour déterminer quels espaces jouent un rôle pour les habitats et les espèces d'intérêt communautaire. Suite à ces discussions bilatérales, ce seront les préfets et les DlREN qui prendront en charge la définition précise des extensions de sites et des nouvelles transmissions. À cette étape, Ile-de- France Nature demandera le strict respect des règles devant présider à la définition des sites Natura 2000, telles qu'elles sont précisées dans l'arrêt jurisprudentiel du 7 novembre 2000. Par ailleurs, l'exemple haut-normand de l'extinction probable de sa population de Râles des genêts montre qu'obtenir la simple désignation d'un site ne suffit pas à garantir le maintien des habitats et des espèces. De nombreux espaces remarquables franciliens sont aujourd'hui très fragilisés. On a toute raison de penser que les régressions brutales de ce type vont se multiplier. Aussi, à l'image d'autres régions françaises, il semble indispensable de mettre en place un réseau associatif de suivi des sites Natura 2000. Objectif: contrôler sur le terrain la bonne application des mesures visant à maintenir notre biodiversité. Appel aux militants associatifs Cette veille citoyenne ne demande aucune compétence scientifique particulière. Tout adhérent d'une association souhaitant uvrer pour la protection de la nature peut y participer. Un des grands chantiers d'Ile-de-France Nature en 2003 sera d'organiser ce suivi. Enfin, nous ne pouvons que souhaiter la mise en place rapide d'un véritable partenariat entre les pouvoirs publics et les associations sur le dispositif Natura 2000, conformément à ce qui se pratique dans les autres démocraties de l'Union européenne et à la ligne politique tracée par Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, lors du dernier comité national Natura 2000. |
|
Haut de page |